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Pour les membres du mouvement lettriste, tout art passe par deux phases bien distinctes: une phase de construction, d'acquisition de toutes les dimensions possibles, d'expansion des formes et des contenus, qu'ils nomment amplique; et une phase de concentration, de désorganisation, et finalement de déstructuration, de destruction et de mort appelée ciselante. Le cinéma serait alors entré dans cette seconde phase avec le Traité de bave et d'éternité, film mythique d'Isidore Isou.

Qui sont les lettristes ?

Pour ceux qui ne le savent pas, les lettristes sont des jeunes gens qui prétendent que les mots sont épuisés, et d'une banalité écœurante, en tant qu'éléments d'émotions poétiques. Les lettres seules encore, par leurs sonorités, peuvent combiner la poésie et la musique dans un inédit breuvage, plus proche des sensations spontanées.

Pour les membres du mouvement lettriste, tout art passe par deux phases bien distinctes: une phase de construction, d'acquisition de toutes les dimensions possibles, d'expansion des formes et des contenus, qu'ils nomment amplique; et une phase de concentration, de désorganisation, et finalement de déstructuration, de destruction et de mort appelée ciselante. Le cinéma serait alors entré dans cette seconde phase avec le Traité de bave et d'éternité, film mythique d'Isidore Isou. Ce dernier film apporterait en effet, selon Maurice Lemaître11 (autre lettriste de renom) les élements suivants:

  1. un montage discrépant: éclatement de l'alliance image-son - harmonique ou dysharmonique harmonieuse - en deux unités autonomes et présentées en parallèle;
  2. une image ciselée, c'est à dire une particule photogrammatique attaquée dans son essence même, la reproduction, appauvrie ou enrichie par des interventions dans sa gélatine;
  3. un son ciselant, c'est à dire une bande sonore travaillée en soi, bénéficiant des apports antérieurs de la prose et du lyrisme.

Le texte qui suit est un extrait des dialogues tirés de ce film, dialogue qui illustre la manière dont Isou procède - d'une part par la structure formelle et la mise en place de ces dialogues, d'autre part directement par le contenu du texte - pour démontrer les possibilités de création d'un nouvel espace issu de la discrépance des éléments sonores et visuels.

(...)

"Le cinéma est aujourd'hui l'art le plus en retard"

Une autre œuvre importante issue du mouvement lettriste est justement celle de Maurice lemaître, "Le film est déjà commencé ?", prolongement de celle d'Isou, dans la persistance à ciseler l'image de manière de plus en plus travaillée, et à rendre le son totalement autonome. De cette volonté d'élargissement le cadre cinématographique naîtra, entre autres concepts lettristes surprenants, la mécanique cinématographique supertemporelle, les premières œuvres correspondantes étant présentées par Isou en 1960; Lemaître fera de même avec Un soir au cinéma (1962), dans lequel les spectateurs sont amenés à faire l'écran, ou Pour faire un film (1963), invitation du public à devenir lui-même cinéaste; dans ces films, les interventions du public constituent, seules, la "matière", le cadre invitant, c'est à dire l'œuvre. Les cinéastes lettristes vont alors encore plus loin en créant le film anti-supertemporel, puis le film anti-anti-supertemporel. Dans 4 Films anti-supertemporels (1978), Maurice Lemaître nie les apports du public en plaçant devant ses yeux un bandeau opaque, et sur ses oreilles un casque de chasseur anti-bruit. A l'inverse, dans Caméra ! Moteur ! Action ! Coupez ! (1979), il demande aux spectateurs, qu'il a préalablement attachés sur leur siège pour qu'ils ne "participent " pas à la réalisation du film, de se libérer et de lutter pour imposer tout de même leur présence dans l'œuvre cinématographique.

Au delà de la dimension utopique de certaines théories lettristes, Isidore Isou propose finalement, avec son Traité de bave et d'éternité et après cinquante de cinéma, un rééquilibrage entre son et image. Si ses théories paraissent essentiellement s'exercer sur la parole, on constate qu'il cherche à construire par ce biais et celui des dialogues conventionnels un agencement sonore beaucoup plus recherché, emportant au final avec lui les cloisonnements entre dialogue, son et musique. Cette volonté de perméabilité et de rigueur entre les éléments sonores nous conduit inévitablement à la mettre en relation avec l'émergence d'une musique formellement plus libre et son éloignement vis à vis de la musique conventionnelle. L'année de 1951 se présente ainsi pour l'histoire de l'image et du son comme une unité de temps symbolique d'à la fois une volonté d'ouverture et un contexte technologique propice à l'acceptation d'idées novatrices. Suivant la théorie de l'art selon les lettristes, peut-être pourrions-nous alors énoncer que nous sommes dans la phase amplique de la musique, annoncée par l'émergence groupée des musiques électroniques ou électro-acoustiques, concrètes, et improvisées.

La beauté du bruit pur, l'harmonie du cri

Les rapports d'Isou avec la musique sont très étroits, et il participe de cette évolution en créant la musique lettriste, basé sur des poèmes de phonèmes souvent décriés de manière improvisée, poèmes lettristes qui n'ont aucun sens et ne veulent rien dire. On les a composés simplement pour la beauté du bruit pur, pour l'harmonie du cri. (…) La musique même, en éliminant la mélodie avec Schönberg et les atonalistes, vient vers le lettrisme, dans son évolution ! (…) Le lettrisme sera un jour plus important que le jazz, traité à ses débuts de musique métèque, nègre, et sans lendemain. (…) Le vrai retour à une sauvagerie libre, à une poésie et à une musique de tripes, à la voix pure et au cri ancestral, la vraie redécouverte de nos explosions originelles, immédiates, de la barbarie de la gorge, à poil, voilà le lettrisme !

Pour Isou, l'illustration la plus représentative d'une mécanique pouvant attaquer du dehors les éléments esthétiques acquis et représenter une nouvelle étape dans l'histoire de l'art serait la musique électronique, basée sur une utilisation destructive des instruments. Etant donné la relative nouveauté du terme de "musique électronique", on établit aisément le lien entre ces mécaniques cinématographiques et musicales, et la légitimité de la mise en relation du cinéma d'Isou à l'heure de l'éclosion de la musique électronique.


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