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"A serrer de plus près les termes, le son ne s'est pas introduit dans le cinéma muet: il en est sorti. Il est sorti du besoin qui poussait notre cinéma muet à franchir les limites de la pure expression plastique. Et ce besoin d'élargir le cercle de son action, notre cinéma l'a profondément ressenti dès le berceau. Dès ses premiers pas, le cinéma muet, chez nous, s'est ingénié à rendre, par tous les moyens possible, non pas seulement l'image plastique, mais l'image sonore."

Un Ulysse cinématographique

Dans la continuité d'Antonin Artaud, de nombreux cinéastes se sont à leur tour interrogés sur les limitations et le futur du cinéma. Dans son "Journal d'un cinéaste 8", Eisenstein s'applique à montrer combien il est indispensable de se départir des habitudes cinématographiques, la difficulté étant de rechercher de nouveaux points de vue, de nouvelles, prises de vue, de nouvelles interprétations. Dans un texte qu'il a lu en 1928, le réalisateur établit pour sa démonstration un parallèle entre le cinéma et la littérature, par le biais particulier de l'ouvrage Ulysse9, de l'irlandais James Joyce; ce dernier étant considéré comme un auteur dont l'écriture est l'une des plus ultimes dans ses agencements, on comprend que Eisenstein appelle ici à un renouvellement profond de la méthodologie cinématographique classique. Il relate à ce propos sa stupéfaction quant à la manière dont chaque chapitre d'Ulysse est construit par le biais d'un procédé littéraire différent; pour lui, une chose analogue doit être aussi faite dans le cinéma. Il imagine d'ailleurs déjà un cinéma en relief, toile d'araignée avec une araignée gigantesque, pendant entre l'écran et le spectateur. Des oiseaux s'envoleront de la salle pour s'enfoncer dans l'écran, ou viendront docilement se poser au-dessus des spectateurs sur un fil - on aurait envie de le toucher - qui a l'air de joindre ce qui fut jadis la surface plane de l'écran à la cabine de l'opérateur. Des branches suspendues partout garnissent la salle. (…) Ce que nous étions accoutumés à considérer comme une image à la surface de l'écran nous "engloutit" soudain dans des arrière-plans que nous n'avions jamais soupçonnés, ou bien "plonge" en nous avec une force d'irruption inconnue.

Le dépassement de la pratique conventionnelle

Cette prise de conscience des limites que s'imposait alors et d'elle même l'industrie cinématographique nous concerne non seulement au niveau du son, auquel il consacre quelques chapitres, mais aussi plus généralement au dispositif cinématographique en lui-même. Pour lui, le son ne s'est pas introduit dans notre cinéma à titre de caprice, de nouveauté, de mode. (…) A serrer de plus près les termes, le son ne s'est pas introduit dans le cinéma muet: il en est sorti. Il est sorti du besoin qui poussait notre cinéma muet à franchir les limites de la pure expression plastique. Et ce besoin d'élargir le cercle de son action, notre cinéma l'a profondément ressenti dès le berceau. Dès ses premiers pas, le cinéma muet, chez nous, s'est ingénié à rendre, par tous les moyens possible, non pas seulement l'image plastique, mais l'image sonore. Dans un de ses projets artistiques les plus visionnaires, "La maison de verre", Eisenstein cherche à dépasser la pratique cinématographique institutionnelle, et de ce fait se voit théoriser sur un objet dépassant de beaucoup le niveau de la technique cinématographique de l'époque. Ces réflexions se voient d'ailleurs illustrées plus explicitement dans ses Réflexions d'un cinéaste (1946), dans lesquelles il aborde le sujet de la synthèse des arts, en montrant que l'industrie cinématographique de l'époque résulte d'expériences encore incomplètement assimilées et analysées du cinéma muet et parlant. Cette analyse - nous le verrons dans ce qui suit - reste encore d'actualité aujourd'hui, les tentatives d'élargissement restant réservées à un cinéma "de la marge".


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